Article du Monde: 5/11/2013
Le destin des tableaux pillés par les nazis retrouvés à Munich
Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Frédéric Lemaître (Berlin, correspondant)
On en sait un peu plus sur l'incroyable découverte de très nombreux tableaux dans l'appartement munichois d'un octogénaire, Cornelius Gurlitt, quarante-huit heures après que celle-ci a été révélée par l'hebdomadaire Focus.
Mardi 5 novembre, le procureur général du parquet d'Augsburg (Bavière), Reinhard Nemetz, a donné une conférence de presse en compagnie d'une experte, Meike Hoffmann, historienne de l'art de l'université de Berlin. En fait, il s'agit de 1 406 œuvres (des dessins, des aquarelles, des lithographies...), dont 121 sont encadrées. Parmi celles-ci des Picasso, Chagall, Renoir, Toulouse-Lautrec, Courbet, Matisse, Macke, Dix, Liebermann...
UN CHAGALL DONT ON IGNORAIT L'EXISTENCESelon Mme Hoffmann figurent dans ce trésor un autoportrait d'Otto Dix et un tableau de Chagall datant du milieu des années 1920, dont on ignorait l'existence. Le plus ancien de ces tableaux date du XVIe siècle. Un certain nombre remonte au XIXe siècle. Il ne s'agit donc pas uniquement d'œuvres modernes, et sans doute pas uniquement non plus d'œuvres saisies par les nazis, qui les jugeaient symptomatiques de "l'art dégénéré". Si Focus estimait leur valeur globale à 1 milliard d'euros, le procureur s'est simplement contenté d'indiquer que leur "valeur théorique ne saurait être surestimée".
Ces œuvres sont cependant d'une "qualité extraordinaire", selon Meike Hoffmann. La découverte, qualifiée de "sensationnelle" par la presse allemande, remonte au 28 février 2012, et non à 2011, comme l'affirmait Focus. C'est ce jour-là que les douanes ont perquisitionné l'appartement de Cornelius Gurlitt, né en décembre 1933, qui avait été contrôlé en septembre 2010 dans un train vers la Suisse, avec 9 000 euros en liquide. Bien que cela n'ait rien d'illégal (les sommes en liquide doivent être déclarées à partir de 10 000 euros), les douaniers cherchent des renseignements sur ce paisible retraité et s'aperçoivent qu'il n'est inscrit dans aucune localité, ne dispose d'aucun numéro fiscal, ne paie pas de cotisations sociales et ne reçoit aucune retraite.
"Deux Cavaliers sur la plage", par Max Liebermann (1847 - 1935).
Crédits : AP/Kerstin Joensson
DES ŒUVRES VOLÉES PAR LES NAZIS À DES FAMILLES JUIVES
Il se dit domicilié à Salzbourg, mais c'est à Munich qu'on retrouve sa trace dans un appartement rempli de détritus, de boîtes de conserve parfois périmées depuis trente ans et de chefs d'œuvre que les douaniers mettront trois jours à déménager. Ceux-ci se trouvent encore aujourd'hui dans un endroit tenu secret. Comment Cornelius Gurlitt a-t-il pu posséder un tel trésor ? Grâce à son père Hildebrand Gurlitt, grand collectionneur d'art qui avait aidé les nazis à vendre des œuvres volées à des familles juives.
Après la guerre, Hildebrand Gurlitt, qui avait lui-même des ascendants juifs, parvint à travailler quelques années aux beaux-arts de Düsseldorf avant de mourir dans un accident de la route en 1956. Il avait toujours affirmé que ses tableaux avaient disparu dans l'incendie qui a ravagé Dresde en février 1945.
Certains, notamment l'expert Peter Raue, jugent "scandaleux" que l'Etat allemand n'ait pas plus tôt révélé cette découverte extraordinaire. Selon lui, ces œuvres auraient dû rapidement être exposées sur Internet pour que leurs propriétaires légitimes puissent les réclamer. Ce n'est pas ce qui va être fait. Mardi, le procureur général a indiqué qu'elles ne seraient pas exposées car cela pourrait, selon lui, être contraire à l'intérêt des propriétaires.
Pour Mme Hoffmann, "les recherches sur l'origine des œuvres sont complexes et prennent beaucoup de temps". Les experts n'excluent pas que Cornelius Gurlitt possède encore d'autres tableaux précieusement conservés dans un endroit connu de lui seul. Au fait, où se trouve à présent l'octogénaire ? Nul ne semble le savoir.
Cornelius Gurlitt, qui dispose d'un passeport allemand et d'un passeport autrichien, ne fait pas l'objet d'un mandat d'arrêt. Il est pour le moment simplement soupçonné de fraude fiscale, mais les autorités allemandes ne sont pas en contact avec lui et n'auraient pas demandé à l'Autriche de participer à sa recherche.
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